La menace fantôme

 

Par Xiao Pignouf (Ouvrier, Enseignant / gauche/ France)

publié le 7 octobre 2023 sur le blog de l'auteur Tais-toi Xiao

 

Ils sont là, dans les campagnes, dans les villes, sur les réseaux sociaux. Ils ont les cheveux tantôt bleus tantôt roses, ils éructent, ils bavent. Plus rien ne peut être expliqué, analysé, décortiqué sans qu’ils en soient la cause ou le résultat. Ils sont devenus synonymes d’Apocalypse ou de Jugement Dernier. Ils sont l’Antéchrist qui a succédé au covid sur le trône du mal absolu, dans un étrange retournement de situation : ceux qui voyaient dans le coronavirus une pandémie imaginaire sont les mêmes qui aujourd’hui voient en eux une maladie contagieuse, ceux qui refusaient qu’on protège les enfants d’un virus sont les mêmes qui craignent que ces derniers soient contaminés à leurs idées et mutent en monstres hermaphrodites allergiques au gluten.

On n’avait pas assisté à une telle vague de haine depuis les années 1970. Après les émeutes de Stonewall en 1969, qui sont considérées comme l’acte de naissance du militantisme LGBTQ+, un certain nombre de revendications étaient apparues dans le débat public aux États-Unis, parmi lesquelles la fin des discriminations visant les personnes homosexuelles, la décriminalisation de l’homosexualité et sa dépsychiatrisation.

À l’époque, une femme, Anita Bryant, s’oppose farouchement à toute avancée des droits des homosexuels qu’elle considère comme un danger mortel pour la société et la famille traditionnelle. Cette chrétienne fondamentaliste et ultra-conservatrice devient alors un symbole de la haine homophobe au sein de la communauté LGBTQ+. À l’exception des réseaux chrétiens, sa croisade trouve relativement peu d’appuis au niveau national en raison du contexte historique : les braises des luttes pour les droits civiques aux États-Unis sont encore chaudes. Néanmoins, elle remporte localement quelques victoires notables, comme le retrait dans plusieurs états et comtés d’une législation visant à interdire la discrimination à l’égard des homosexuels en matière d’embauche, de logement et d’accès aux emplois de la fonction publique, notamment dans les écoles publiques. Ces succès conduisent à un référendum d’initiative citoyenne en Californie, appelé Initiative Briggs, qui vise également à empêcher les gays et les lesbiennes de devenir enseignants ou à renvoyer du système éducatif toute personne homosexuelle. Cette proposition est largement rejetée par les Californiens.

L’action d’Anita Bryant prend aujourd’hui une résonance toute particulière en raison de l’écho qu’elle suscite près de cinquante ans plus tard. La résurgence homophobe actuelle, au travers de la transphobie, est une copie conforme des arguments et des méthodes de la militante anti-gay.

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Commençons par faire un panorama actualisé du paysage médiatique de l’alt right américaine, principale pourvoyeuse de désinformation sur les sujets qu’elle a coutume de résumer sous l’étiquette « wokisme ». Alt right, ou alternative right, est un euphémisme qui désigne ce qui est en réalité une extrême-droite made in America, libertarienne, teintée de suprémacisme blanc, de fondamentalisme chrétien, de masculinisme, de survivalisme et de culte pour les armes à feu. En France, quand la législation interdit tout discours appelant à la haine, le premier amendement de la Constitution américaine garantit une liberté d’expression, disons plus permissive, tant qu’elle ne menace pas l’État et ses valeurs. Il est donc parfaitement légal aux États-Unis de manifester en brandissant des symboles nazis, en criant des slogans antisémites ou hostiles aux minorités raciales et sexuelles. On pourrait débattre de ce concept de liberté d’expression bien sûr et opposer la conception américaine à la conception française. Chauvinisme mis à part, « ma liberté s’arrête où commence celle des autres » est une devise qui me convient très bien.

Longtemps confinées à la marge, les idées de l’alt right sont revenues sur le devant de la scène politique américaine à la faveur de différents facteurs au premier rang desquels l’élection de Donald Trump. Celui-ci a joué un rôle désinhibiteur sur les tendances racistes et misogynes d’une partie non négligeable de l’électorat américain. Mais le facteur le plus déterminant est sans conteste l’émergence de médias « alternatifs » qu’ont pu favoriser les plateformes telles que Youtube ou Twitter, aujourd’hui X. Socialement, le conservatisme et le fondamentalisme chrétien, tous deux vecteurs des idéologies les plus rétrogrades, à l’image de l’arrêt Roe. V. Wade de la Cour Suprême américaine, sont les plus fortement représentés dans les couches supérieures et la haute-bourgeoisie américaine. Par conséquent, ce n’était qu’une question de temps avant que celles-ci ne perçoivent l’opportunité de s’organiser et de tirer profit de ces outils numériques pour répandre leurs idées. En comparaison, la gauche, très peu soutenue par une classe pour laquelle elle représente par nature une menace, est beaucoup moins présente sur ces plateformes et sur les réseaux sociaux.

Dans un article précédent, j’avais évoqué trois figures médiatiques de cette mouvance idéologique réactionnaire, mais aujourd’hui ces influenceurs se sont regroupés dans différentes sociétés de production de contenus en ligne, notamment The Daily Wire qui produit également des films garantis « sans woke« . The Daily Wire est soutenu financièrement par The David Horowitz Freedom Center, une fondation conservatrice et ouvertement islamophobe ainsi que par les frères Wilks, deux industriels texans du secteur de l’extraction de pétrole par fracturation hydraulique, tous deux fondamentalistes chrétiens (Farris Wilks est lui même pasteur et a fait de nombreux sermons hostiles à l’homosexualité et à l’avortement). Ils ont aussi financé Prager U, une prétendue université en ligne qui propose des contenus pédagogiques ultra-conservateurs et pro-israëliens, et avec Prager U-Kids, à destination des enfants également. Parmi les autres donateurs de Prager U, on trouvera le gotha industriel et financier américain comme la Fondation Bradley ou Sheldon Adelson.

Prager U, c’est 18,5 millions de dollars de chiffre d’affaires et 28 millions de dollars investi dans le marketing. The Daily Wire dégagerait 100 millions de dollars de revenus avec, par exemple, plus de 10 millions de dollars investis en marketing anti-trans sur différents médias.

Il faut également mentionner Twitter (X) et la personnalité de son nouveau propriétaire, Elon Musk.

Au début de l’année 2022, ce dernier, alors indigné par les suppressions de comptes d’opposants aux mesures anti-covid et aux politiques vaccinales et surtout par celle du compte de Donald Trump suite aux évènements du 6 janvier au Capitol, annonce vouloir pallier à ce déni de liberté d’expression en rachetant Twitter. Après une série de valses-hésitations qui le conduisent finalement à revenir sur sa propre promesse de rachat, il est contraint judiciairement à tenir ses engagements et rachète Twitter. Le 27 octobre 2022, il devient officiellement le nouveau propriétaire de l’oiseau bleu, pour la modique somme de 44 milliards de dollars.

« La raison pour laquelle j’ai acquis Twitter est qu’il est important pour l’avenir de la civilisation de disposer d’une place publique numérique commune, où un large éventail de croyances peut être débattu de manière saine, sans recourir à la violence« , déclare Musk dans une lettre ouverte sur Twitter. « Il existe actuellement un grand danger que les médias sociaux se divisent en chambres d’écho d’extrême droite et d’extrême gauche qui génèrent plus de haine et divisent notre société. »

En réalité, la reprise de Twitter par Musk profite d’abord aux contenus conservateurs et à ceux de l’alt right, avec lesquels, malgré une apparente posture centriste, il a beaucoup plus d’atomes crochus. Une ancienne employée anonyme chez Twitter avait eu le nez creux à la perspective du rachat par Musk : « Il [Musk] cherche trop à attirer l’attention. Twitter est une drogue très très dangereuse pour tous ceux qui ont cette personnalité. » Après le rachat par Musk, en France, comme aux États-Unis, tous les contenus d’extrême-droite qui avaient vu leurs comptes fermés pour propos haineux ont fait leur retour sur le réseau social alors que les comptes antifas restent bloqués. Aujourd’hui, Elon Musk est plus connu pour sa tendance à abuser de son pouvoir de censure qu’à oeuvrer en faveur de la liberté d’expression. Sur X, on peut penser comme on veut, du moment que c’est comme le patron.

C’est donc dans un contexte particulièrement favorable à tout contenu ultra-conservateur qu’il faut considérer l’émergence de la transphobie, derrière laquelle se cache, rampante sous la surface, une homophobie toujours vivace. En effet, les personnes transgenres, et peut-être plus encore les femmes trans, sont devenues la cible d’une haine réactionnaire et l’objet des rumeurs les plus mensongères répandues sur leur compte par les mêmes sphères qui en leur temps s’opposaient à la législation sur le mariage gay et l’adoption par les couples gays.

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Avant d’aller plus loin et de faire le portrait-robot de cette haine : il est essentiel de répondre à une question. En tout cas essayer d’y répondre avec la même attention que lorsqu’on manipule un objet fragile qui ne nous appartient pas.

Qu’est-ce qu’être transgenre ?

Chez la plupart des êtres humains, le sexe biologiquement attribué à la naissance s’accorde avec l’identité de genre. Je suis biologiquement un homme et je m’identifie comme tel.

Mais ce qui peut paraître comme une évidence pour la majorité ne l’est pas forcément pour tout le monde. Se dire transgenre, c’est, à des degrés et dans des temporalités variables, dissocier son identité de genre de son sexe de naissance. De cette inadéquation naît une souffrance qui dans sa manifestation la plus aiguë est appelée dysphorie de genre (1). S’initie dès lors un cheminement intérieur qui conduit progressivement à une transition, d’abord par l’adoption des codes – vestimentaires et sociaux – du genre auquel la personne s’identifie ou, par une fluidité entre les deux dans le cas des personnes non-binaires.

Si le taux de personnes transgenres dans une population donnée est estimé selon les études entre 0,1 et 2%, la proportion de celles affectées par la dysphorie de genre est de l’ordre de 0,01 à 0,005%, tous sexes confondus. Ces données sont peu parlantes à l’échelle mondiale, car elles ne concernent que les pays dans lesquels les droits des personnes transgenres sont suffisamment étendus pour que leur sécurité soit assurée ou que leur existence ne soit pas simplement menacée quand elles s’expriment.

    « L’idée que le sexe n’est pas strictement binaire n’est même pas scientifiquement controversée. Parmi les experts, c’est une donnée, une conclusion inévitable dérivée de la compréhension réelle de la biologie du sexe. Il est plus exact de décrire le sexe biologique chez l’homme comme bimodal, mais pas strictement binaire. Bimodal signifie qu’il y a essentiellement deux dimensions dans le continuum du sexe biologique. Pour que le sexe soit binaire, il faudrait qu’il y ait deux extrémités sans chevauchement et sans ambiguïté dans ce continuum, mais ce n’est manifestement pas le cas. Il y a tous les types de chevauchement imaginables au milieu – donc bimodal, mais pas binaire. »

    « Il est absolument vrai que les humains présentent un dimorphisme sexuel, avec un ensemble de traits typiquement masculins et typiquement féminins. »

    « Il est également vrai que la plupart des gens ont tendance à se regrouper autour de l’un des deux pôles du sexe biologique.
»


    Steven Novella, neurologue clinicien universitaire à la Yale University School of Medicine

Appréhender la transidentité est intimement lié à notre définition de ce qu’est une femme ou un homme. Il est d’ailleurs signifiant que dans son pamphlet anti-trans, le fondamentaliste chrétien Matt Walsh, non content de démontrer avec clarté l’obsession conservatrice pour les femmes trans, la question-titre What is a Woman? soit centrale. Quand la réalité biologique voit un continuum entre les deux sexes, le conservatisme les sépare d’une frontière infranchissable de chaque côté de laquelle la capacité procréatrice est l’essence de chaque sexe, excluant de facto par exemple les personnes souffrant de stérilité. À l’instar de chaque être humain, il y a autant de vécus transgenres que de personnes transgenres et la transidentité est un parcours jalonné de questions dont les réponses diffèrent pour chaque individu.

 
    « Quel est l’appel formulé par les personnes trans à la médecine ? L’appel est celui d’être aidé dans un processus de transition, processus de transition qui est le signe spécifique de leur savoir sur ce qui fabrique leur nouage identitaire entre les mots, les images et les sensations de corps. Dans cette aide figurent les endocrinologues et chirurgiens bien évidemment, des dermatologues ou phoniatres, car ces spécialistes touchent la question du corps et de sa fonctionnalité. Ces derniers spécialistes sont indispensables au processus de transformation dans le concret ce que n’est aucunement le psychiatre. Les psychiatres ne devraient apparaître que dans le cadre d’une demande d’aide faite par les personnes transgenres. De même une aide formulée auprès de psychiatres par les endocrinologues et les chirurgiens en cas de souffrance psychique pourrait être validée. Ces points relevant de la médecine sont à débattre avec les personnes transgenres elles-mêmes. Le savoir transgenre ou transidentitaire est déterminant. »

    Hervé Hubert, psychiatre, analyste praticien psycho-social, chef de service du centre Georges Politzer Fondation Élan Retrouvé, président de l’APPS (Analyse Pratique Psycho-Sociale)

Le sujet délicat de la transition devrait être traité par l’angle des faits et non par celui des émotions nées de peurs irrationnelles (2). C’est un long et lent processus dont l’aboutissement peut être, si la personne en exprime le désir, la chirurgie de réassignation sexuelle. C’est une renaissance, aussi bien en tant qu’être humain qu’en tant que citoyen(ne) dont l’une des premières phases est une transition de l’état civil. Choisir et changer son prénom est le premier pas vers son identité vraie. La transition, c’est aussi, en quelque sorte, la mort de celui ou celle qu’on était, qui s’accompagne aussi du deuil, parfois inévitable, des relations de ce moi passé, démontrant ainsi que transitionner n’est pas une chose individuelle mais au contraire intensément collective. Ce n’est pas une personne seule qui transitionne, c’est avec elle son entourage.

Une personne se déclarant transgenre n’est pas toujours une personne qui a transitionné par la chirurgie. Loin s’en faut. Peut-être est-elle toujours dans sa réflexion, peut-être ne fera-t-elle jamais ce choix. En France, comme dans beaucoup d’autres pays, la personne en questionnement sur son genre, quel que soit son âge, a accès à un accompagnement psychologique permettant d’évaluer la profondeur de ce questionnement, d’y répondre et d’apporter le soutien et les soins appropriés. Elle est entourée par sa famille et/ou par des professionnels de santé.

Aux États-Unis, c’est l’Institut Williams de l’UCLA qui fournit les données les plus récentes : il y aurait 1,6 millions de personnes transgenres, soit un peu moins de 0,5% de la population américaine. Ces chiffres qui correspondent aux estimations évoquées plus haut sont toutefois beaucoup plus élevés qu’en France. Cette différence peut s’expliquer par l’avance que le pays a sur ces questions, notamment en matière de recensement, en raison de réseaux militants plus étendus. Le rapport indique également qu’il y a depuis 2017 une stabilisation du nombre d’adultes se déclarant transgenre. En France, les chiffres disponibles datant de 2020 parlent de 8952 personnes ayant entamé une procédure de suivi, parmi lesquelles 3,3% de mineurs. Entre 2010 et 2020, les demandes de prise en charge chirurgicale ont quadruplé, passant de 113 à 462 (chiffres comprenant autant les dossiers approuvés que ceux qui sont rejetés). Ces données font partie de celles qui sont interprétées de manière anxiogène, mais si on prend le temps de les analyser, sur une période de 10 ans, ça ne représente qu’un taux annuel moyen d’augmentation de 14%. Non seulement cette hausse n’est pas le tsunami que les milieux réactionnaires annoncent ici ou là, mais elle peut aussi s’expliquer par des facteurs externes comme la libération de la parole, l’amélioration de la prise en charge ou les progrès de la médecine et de la chirurgie. Et non pas comme une sorte d’épidémie, discours pour le moins inattendu lorsqu’il vient de ceux-là même qui niaient et nient toujours l’existence ou la gravité de la pandémie de covid.

Près de 300 mineurs ont entamé en 2020 un parcours de transition en France. Ce parcours, comme celui des adultes contient un suivi psychologique et thérapeutique visant à déterminer la réalité et la sévérité de la dysphorie de genre et à accompagner le jeune au long de sa réflexion. Tout parcours, que ce soit celui d’un adulte ou d’un mineur, n’aboutit pas à des actes chirurgicaux de réassignation sexuelle, mais il peut comporter en premier lieu, pour les mineurs, la prise de bloqueurs de puberté ou inhibiteurs d’hormones. Ce traitement, qui n’est pas anodin, est toutefois réversible et n’est pas seulement à destination des jeunes transgenres. En effet, il peut être prescrit à un enfant dans le cas d’une puberté précoce pouvant conduire à des problèmes de croissance. Dans le cas d’une dysphorie de genre, il permet de retarder la venue de la puberté afin de laisser un temps supplémentaire de réflexion. Durant la procédure de transition pour les mineurs, chaque phase médicalisée requiert le consentement des parents ou des représentants légaux. Y compris, à partir de 16 ans, la prise d’hormones, dont les effets sont irréversibles. La phase chirurgicale, si elle est décidée, ne peut être engagée avant la majorité.

L’objet ici n’est ni de contester la validité ou de nier les risques d’une telle procédure. II s’agit de mettre en évidence l’importance d’une prise en charge et d’un accompagnement thérapeutique pour la personne transgenre, quel que soit son âge. La question de la sécurité des personnes mineures ne doit pas être prise à la légère et soulève des préoccupations légitimes, mais il est essentiel que les interrogations soient posées sans caricaturer jusqu’à la diffamation des communautés dont le seul intérêt est l’égalité en droits. La transidentité est une réalité cliniquement démontrée et qui ne touche pas uniquement les adultes. Reconnaître cet état de fait, c’est d’emblée poser la nécessité de structures et de législations permettant la protection des mineurs concernés dans le respect de leur libre-arbitre. Or l’un des objectifs, aujourd’hui explicite, des sphères conservatrices, est de mettre fin à cet accompagnement. Plus de 20 états américains, tous Républicains, viennent d’interdire l’accès des mineurs aux services de prise en charge des personnes transgenres. Et ce sont les mêmes états qui ont récemment limité ou interdit l’accès des femmes à l’avortement.

En rouge, les états qui ont interdit l’accès à une prise en charge des mineurs transgenres
En rouge, les états qui ont interdit l’avortement

Dans cette interview, la mère d’un jeune transgenre du Texas évoque son quotidien. Elle explique notamment qu’elle a été contrainte de quitter le Texas pour un État plus favorable où son fils pourra bénéficier des soins et du soutien dont il a besoin. Malheureusement, tous les Américains n’ont pas les moyens de déménager et de quitter leur emploi. Il s’agit d’un problème récurrent dans un pays de plus en plus conservateur. Les restrictions d’accès aux soins, notamment à certaines procédures comme l’avortement, conduisent à une augmentation de la mortalité sans pour autant réduire les phénomènes que de telles législations sont supposées réduire. Au contraire, elles plongent les personnes dans la clandestinité et les praticiens dans les marges de la légalité dont on sait qu’elles sont délétères pour les classes les moins aisées. Les classes bourgeoises et supérieures, même confrontées à ces problèmes, trouveront toujours un moyen de contourner la loi sans mettre en danger la vie de leurs enfants.

Le taux de suicide chez les jeunes homosexuels et transgenres, davantage victimes de harcèlement, de violences ou de discriminations, est beaucoup plus élevé que dans la population globale. La suppression de l’accès à un accompagnement et à des soins par des professionnels aura sans le moindre doute des effets dramatiques pour les familles concernées.

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Pour beaucoup, la transidentité est la nouvelle frontière morale à ne pas franchir, comme ce fut le cas pour Anita Bryant face aux revendications de la communauté homosexuelle au début des années 70 ou pour les opposants au Mariage pour Tous en France. Ce rejet est ancré dans une conception traditionaliste de la famille et du couple, conception elle-même plus ou moins consciemment enracinée, en Occident, dans le terreau des valeurs judéo-chrétiennes. Ailleurs, dans d’autres cultures, d’autres religions ou préceptes joueront ce rôle de frein à l’évolution des droits LGBTQ+. Si les valeurs judéo-chrétiennes sont le fondement de la transphobie et du souhait d’éradiquer la transidentité, il est alors parfaitement légitime de s’opposer à elles eu égard à la nature peu factuelle et encore moins scientifiquement démontrée de ces croyances. Ce n’est pas un hasard si les avancées des droits LGBTQ+ sont concomitantes au recul, notamment en Europe de l’Ouest, du fait religieux. On ne peut sensément rejeter, condamner et stigmatiser des êtres humains et défendre, consciemment ou non, ce rejet en le reposant sur la croyance en une entité supérieure dont l’existence n’a jamais été attestée par le moindre début de preuve.

La transidentité et les questions de genre sont en outre loin d’être des phénomènes récents. L’histoire regorge de témoignages.

Celui de Magnus Hirschfeld, médecin allemand, pionnier de la santé sexuelle au moment de l’émergence du nazisme préfigure l’atmosphère actuelle.

Quand ses prédécesseurs voyaient en l’homosexualité une pathologie, Hirschfeld croyait à la nature innée de caractéristiques qui n’entraient pas dans les catégories hétérosexuelles ou binaires.



    «Hirschfeld proposait le terme d’ »intermédiaires sexuels » pour désigner les individus non conformes. Ce terme englobait ce qu’il considérait comme des homosexuels « situationnels » et « constitutionnels » – reconnaissant ainsi qu’il existe souvent un éventail de pratiques bisexuelles – ainsi que ce qu’il appelle les « travestis ». Ce groupe comprend ceux qui souhaitent porter les vêtements du sexe opposé et ceux qui, « du point de vue de leur caractère », devraient être considérés comme appartenant au sexe opposé.»

    «Ce qui est peut-être encore plus surprenant, c’est qu’Hirschfeld incluait les personnes qui n’avaient pas de genre fixe, ce qui s’apparente au concept actuel d’identité fluide ou non binaire (il comptait la romancière française George Sand parmi ces personnes). Le plus important pour Hirschfeld est que ces personnes agissent « en accord avec leur nature », et non contre elle.
»


    Brandy Schillace, in The Forgotten History of the World’s First Trans Clinic, Scientific American

En 1933, la clinique du docteur Hirshfeld a été détruite par les nazis et tous ses ouvrages brûlés, ce qui est à l’origine des plus tristement célèbres clichés d’autodafés. La communauté LGBTQ+ a été la première victime du nazisme et il serait bon de se rappeler qu’avant d’être la puissante tyrannie qui a bouleversé le monde, celui-ci a commencé dans des réunions secrètes et devant des publics parsemés.

On trouvera sans difficulté des similitudes flagrantes entre les opposants d’aujourd’hui et ceux d’hier dans les méthodes employées et les arguments brandis pour refuser la moindre normalisation, l’égalité de droits et l’accès aux soins de la minorité transgenre.

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Il y a globalement trois méthodes conjointes pour nier, invalider ou discréditer l’existence des personnes transgenres et leurs revendications : la déshumanisation, la généralisation et la diabolisation.

Déshumaniser une personne est une méthode couramment utilisée dans l’histoire des persécutions humaines. La propagande nazie a peu à peu dépossédé les Juifs de leurs qualités humaines afin de justifier leur ségrégation puis leur extermination.

Au Rwanda, le 6 avril 1994, un message radiophonique donne le signal de départ du génocide des Tutsi : « Abattez les grands arbres ! » Puis dans les jours qui suivirent, afin de justifier les massacres, la Radio Télévision Libre des Mille Collines encourage les tueries, indiquant les endroits où des Tutsi se cachent, donnant des noms de personnes à abattre, galvanisant les miliciens pour qu’ils attrapent et découpent les inyenzi et « remplissent les fosses« . Inyenzi, un mot kinyarwanda qui signifie « cafard », « cancrelat », est alors utilisé pour désigner les Tutsi.

    « Et vous qui habitez … près de Rugunga … sortez. Vous verrez les paillotes des cafards (inkotanyi) dans le marais … Je pense que ceux qui ont des fusils devraient immédiatement aller vers ces cafards … les encercler et les tuer. »

    Kantano Habimana sur RTLM, 12 avril 1994

Percevoir les personnes transgenres et plus globalement la communauté LGBTQ+ comme un complot ou une propagande ne diffère en rien de ces méthodes. Et quand une personnalité politico-médiatique américaine appelle à éradiquer la transidentité, elle use du même vocabulaire que ceux qui ont provoqué ou encouragé le génocide rwandais.

Une des choses qu’ont permise les plateformes de contenus et les réseaux réseaux sociaux, c’est l’accès à une infinité de sources filmées. Cette manne a donné aux sphères d’influence ultra-conservatrices l’opportunité de mettre en avant, en guise de démonstration, des comportements ou des propos isolés provenant d’individus lambda afin de les faire passer pour la norme d’une communauté hors de contrôle aux exigences hystériques et déraisonnables.

Cette généralisation abusive, au travers de la culture du mème, sert à dépeindre un ennemi peu porté sur la raison ou la réflexion. Plus celui-ci est forcené, ridicule, agressif, idiot, plus son raisonnement apparaît décousu, sectaire et émotif, plus il sera repris en boucle. Toute personne posée, épanouie, calme et dont les propos sont construits et organisés, dont la démarche est réfléchie et assumée est ignorée.

Diaboliser la réalité d’un phénomène est une méthode souvent associée à la déshumanisation. Exagérer son impact sur la société, l’ériger en menace, en complot ou même en propagande est du même ordre. Proclamer ad nauseam, par exemple, que des drag queens, victimes collatérales de la transphobie (3), vont dans les écoles pour endoctriner les enfants alors qu’en réalité en France comme aux États-Unis, il s’agit d’ateliers de lecture ponctuels organisés dans et par des bibliothèques municipales, dont l’entrée est libre et gratuite, où les enfants sont accompagnés de leurs parents, permet de répandre la fausse rumeur selon laquelle il s’agirait d’une propagande gouvernementale organisée aux plus hauts niveaux de l’État Profond.

Il est assez curieux lorsqu’on note que ces pratiques mensongères sont souvent le fait de personnes qui ont également rejeté la réalité du covid, de constater le fossé, l’abîme même, entre les deux postures.

En France et aux États-Unis, il est établi que la pandémie de covid a fait respectivement 160 000 et 1,12 millions de victimes. Si on applique les pourcentages cités plus haut sur la dysphorie de genre à la population française, on estimera entre 3500 et 7000 et aux USA, entre 16 600 et 33 000 le nombre d’individus pouvant être concernés. En supposant même ici qu’il s’agirait d’une fourchette basse et en décuplant ces données, on serait loin d’atteindre les chiffres alarmants du covid.

On observe donc d’une part l’amplification outrancière d’un phénomène socialement ultra-minoritaire et si tant est qu’on ait besoin de le préciser, non contagieux, d’autre part la minimisation d’une pandémie et d’un agent viral potentiellement mortel.

Logique.

La caricature, enfin, est aussi un moyen de déformer les traits de ceux qu’on veut désigner à la vindicte. C’est précisément dans ce but que les drag queens sont stigmatisées. En fait, c’est l’amalgame de deux phénomènes différents. D’une part celui de personnes (pas toujours des hommes) qui ont le goût de se grimer temporairement en créatures féminines exubérantes et abondamment maquillées, dans le cadre de spectacles ou d’animations. Et d’autre part, celui d’êtres humains qui après un parcours difficile, physiquement et psychologiquement, ont fait le choix légal, définitif et libérateur de se conformer aux normes du sexe opposé ou de s’en approprier les attributs sans que ces changements soient, en général, manifestes, autorisant ainsi la plupart à se fondre dans la masse et devenir invisibles. Tout oppose les drag queens et les personnes transgenres.

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En 1977, l’activiste anti-gay Anita Bryant, dans le contexte de la lutte pour les droits des homosexuels, fonde l’organisation militante Save Our Children, dont l’un des objectifs majeurs est d’obtenir l’abrogation de toute loi fédérale interdisant la discrimination à l’embauche sur la base de l’orientation sexuelle, et tout particulièrement dans les établissements scolaires.

L’obsession à vouloir faire de la communauté homosexuelle un péril pour l’enfance et allant parfois jusqu’à l’associer à la pédophilie n’est donc pas nouvelle. Cette association infamante a toujours été un argument de premier plan et d’ailleurs, accuser quiconque nous déplaît ou nous contredit d’être pédophile ou complaisant avec la pédophilie suffit à clore le débat et à laisser une trace indélébile sur celui ou celle qui en est la cible. C’est surtout bien pratique quand on est à court d’arguments. Elon Musk, par exemple, est coutumier de ce fait.

Il y a pourtant une origine concrète à cette association malsaine. Au moment où la lutte pour les droits LGBTQ+ bat son plein au milieu des années 70, dans un monde anglo-saxon très puritain qui considère toujours l’homosexualité comme une perversion, certains groupes prônant la pédophilie cherchent à s’infiltrer dans la brèche ouverte par les organisations gays et à faire valoir, eux aussi, leur « orientation sexuelle ». Bien sûr, les militants LGBTQ+ se désolidarisent aussitôt de ces revendications et rejettent toute communauté de vues avec elles. D’ailleurs, le fait d’être sorties brièvement de la clandestinité dans une atmosphère qu’elles présumaient favorable à leurs prétentions, a permis d’attirer l’attention des autorités sur ces organisations, ce qui a abouti à leur dissolution.

Ceux qui juxtaposent pédophilie et homosexualité (et aujourd’hui transidentité) font précisément ce qu’Anita Bryant et son mouvement politique appuyé par des figures ultra-conservatrices chrétiennes fondamentalistes ont fait. En effet, un des arguments-phares de Save Our Children, c’est l’assertion selon laquelle puisque les homosexuels ne peuvent se reproduire, ils ont le besoin existentiel de recruter parmi la jeunesse pour se multiplier. On retrouve cette idée en 2023 dans l’expression anglaise groomer servant aux opposants à l’amélioration des droits des personnes transgenres et disons-le tout net, à leur existence même, à qualifier celles-ci mais qui en réalité décrit tout individu cherchant à amadouer les enfants pour abuser d’eux sexuellement. Le groomer est un prédateur sexuel pédophile.

Ces rhétoriques créées de toutes pièces et sans le moindre fondement de vérité mettent surtout en évidence un fait que quiconque ne peut nier : l’empressement des cercles bigots à accuser les personnes transgenres de chercher à hypnotiser les enfants pour mieux les endoctriner ou en abuser contraste avec leur silence complaisant face aux innombrables abus sexuels sur mineurs commis au sein de l’Église chrétienne, et qui bien qu’on ait pas encore fini de creuser pour en comprendre la profondeur réelle, sont attestés et reconnus par les plus hautes instances religieuses. L’église catholique française, quant à elle, dans un article nauséabond paru sur La Croix en 2021, n’hésite pas, tant l’ambiance générale de chasse aux sorcières s’y prête, à se dédouaner des actes mis en évidence dans le Rapport Sauvé en les mettant sur le compte… de l’homosexualité présumée des prêtres, confondant, ainsi qu’y répond une universitaire, corrélation et causalité. Ces mêmes prêtres homosexuels qu’elle a toujours traités comme des parias, soit dit en passant.

« Faites ce que je dis, pas ce que je fais », c’est ainsi que se résument conservateurs et réactionnaires, très doués pour imposer leur agenda, généralement pour des raisons purement populistes, mais aussi par mépris pour la vie des gens. Par contre, lorsqu’il s’agit d’appliquer leurs prétendues règles morales à eux-mêmes, à leurs cercles d’amis ou aux membres de leur Rotary Club, c’est une autre paire de manches ! Ainsi, le Parti Républicain, chrétien jusqu’à la moelle, et tous ses sbires défendent bec et ongles l’une des lois les plus arriérées des États-Unis d’Amérique : le mariage des mineurs.

Ce ne sont pas les personnes transgenres et les personnes homosexuelles qui sont un danger pour l’intégrité des enfants et leur proximité, en tant que parents, amis ou simples connaissances, n’a aucune influence sur l’orientation sexuelle de ces derniers. L’homoparentalité étant actée en France depuis le tournant du siècle, les données sont suffisantes aujourd’hui pour le démontrer et des dizaines d’études indiquent qu’il n’y a pas de différence entre les enfants de familles homoparentales et les enfants de familles hétéroparentales en termes de développement, de capacités cognitives, d’identité ou d’orientation sexuelle. On y mettra toutefois un bémol en faisant l’hypothèse que plus la communauté LGBTQ+ est stigmatisée plus il y a de risques que les enfants issus de familles homoparentales ou transparentales soient victimes de discrimination ou de rejet social.

Les thérapies de conversion, par exemple, pseudo-scientifiques ou religieuses, n’ont jamais démontré la moindre efficacité à remettre dans le « droit chemin » de l’hétéronormativité une personne homosexuelle ou en questionnement sur son identité de genre. En revanche, elles se révèlent extrêmement performantes lorsqu’il s’agit de précipiter celles et ceux qu’on contraints à s’y soumettre dans une détresse pouvant aller jusqu’au suicide. Non, aucune donnée existante jusqu’à aujourd’hui n’a permis de faire la preuve qu’on pouvait inverser l’orientation sexuelle d’une personne, dans un sens ou dans l’autre, même par la coercition, sans provoquer de graves dommages psychologiques. Il en va de même pour l’identité de genre. Elle ne peut être inculquée de la même manière que peut l’être une idée, une idéologie ou une propagande : c’est un déjà-là intime, invincible, irréfragable et inextinguible. La vraie propagande est de faire croire le contraire.

L’autre victime du péril que les personnes transgenres et plus largement la communauté LGBTQ+ feraient courir, c’est la famille. Dans la langue transphobe, ce terme désigne la cellule familiale traditionnelle composée d’un père et d’une mère. Mais par extension, c’est la société entière. Et derrière, acception encore plus large, la civilisation. Cet argument qu’affectionne particulièrement la sphère bigote versée dans ce type de narratif apocalyptique est aussi faux que trompeur. C’est faux parce que les couples homoparentaux ne représentent que 0,9% des familles françaises. C’est trompeur parce qu’à considérer les dangers supposés auxquels ferait face la sainte famille, je regarderais plutôt du côté de l’institution du mariage et du nombre de divorces, si j’en avais quoi que ce soit à faire.

Et puis, une fois le fil des arguments entièrement déroulé, il ne reste plus qu’une seule cartouche : l’appel à la nature. La nouvelle croisade contre la transidentité et le genre convoque alors, plus par association sonore d’ailleurs que par voisinage de sens, le transhumanisme, un concept dont on a un mal fou à dessiner les contours exacts tant la cacophonie qui l’entoure empêche la réflexion. On peut quand même se risquer à constater ceci : les êtres humains sont par nature « augmentés », sinon ils seraient restés à l’état sauvage loin du sommet de la chaîne alimentaire. Si la transidentité, comme en son temps l’homosexualité, n’est pas chose naturelle, dans ce cas, soyons 100% naturels et légalisons la polygamie, l’inceste et le cannibalisme ! Je sais qu’il y en a qui ont déjà adopté certaines de ces coutumes, mais on verra comment s’en porteront la famille et la masculinité quand la femme aura le droit de tuer (et de bouffer) son conjoint après copulation.

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Si la place du corps transgenre dans l’espace public doit être débattue, c’est en tant que manière de repenser les rapports entre les sexes, et non pas comme un désagrément. Par exemple, l’accès des personnes transgenres aux toilettes publiques est devenu l’objet d’une polémique qui en dépit de paraître triviale est tout de même amplifié par des médias ou des influenceurs en manque de visibilité.



    « La différence de sexe ne justifie absolument pas les différences de « genre » observées dans les sociétés contemporaines. Ces différences de genre qui servent à construire des « classes sexuelles » – c’est-à-dire le regroupement des hommes d’un côté et des femmes de l’autre – sont produites par des mécanismes qui sont remarquablement analysés. Un des meilleurs exemples est celui des toilettes dans l’espace public. Rien ne justifie la ségrégation des sexes pour cette pratique, et néanmoins on la présente comme « une conséquence naturelle de la différence entre les classes sexuelles alors qu’en fait c’est plutôt un moyen d’honorer, sinon de produire cette différence »

    Telle est du moins la thèse de Goffman. En se rendant aux toilettes, chaque homme ou chaque femme valide la séparation en deux mondes « sexuels », volontairement ou non, il contribue à la production et à la reproduction des « classes sexuelles », et donc à la justification de la domination masculine.
»


    François de Singly, in Critiques (Erving Goffman, L’Arrangement des sexes)

Pour reprendre de mémoire un commentaire en réaction à l’appel de la « féministe » anti-trans Kelly Jay-Keen, sans qu’elle ait pourtant pris conscience du paradoxe terrifiant, à faire patrouiller des hommes armés dans les toilettes des femmes : « Je ne sais pas de quoi j’aurais le plus peur, d’un homme armé ou d’une personne qui veut juste pisser« . Si mes souvenirs sont bons, durant la pandémie de covid et en raison des mesures de distanciation prises dans les établissements scolaires, certains ont dû revenir momentanément à la mixité dans les toilettes… ça n’a suscité aucune indignation, enfin, autre que celles contre le masque, je veux dire.

Dans le cas du sport, il faut bien évidemment réfléchir à la question de l’intégration des athlètes transgenres. Mais enfin, il me semble que c’est un peu l’arbre qui cache la forêt. La controverse pour une question aussi dérisoire que celle des sportifs transgenres détourne de la conscience parfaitement acquise que plus une seule compétition sportive de haut niveau n’est propre, plus un(e) seul(e) athlète qui y participe ne peut le faire sans se doper. Nous savons tous très bien que c’est le cas et pourquoi c’est le cas. Mais on préfère regarder ailleurs, vers les athlètes transgenres qui sont une diversion bien commode. En tout cas, on va me reprocher de mettre encore les nazis sur le tapis, mais il y a vraiment des dingos qui sont favorables à un examen des parties intimes, même pour les enfants

En France, un vieux fond d’homophobie qui s’est redirigé vers les personnes transgenres, nouvelles cibles de railleries misogynes, écarte le débat vers des considérations sans profondeur qui n’ont d’autre mérite que satisfaire le besoin de rigoler aux dépens des autres, vieille marotte du parler vrai.

Ainsi, par exemple, l’affiche d’une campagne du planning familial sur laquelle un homme transgenre est représenté enceint suscite les sarcasmes et les théories les plus fêlées. « Et mon cul c’est du poulet ? » demandent même les plumes de gauche, tendant ainsi à prouver que les vieilles insécurités masculines sont transpartisanes. Ce qui laisse éminemment perplexe, c’est l’incohérence du raisonnement qui se trouve derrière ce déni et qui omet, consciemment ou non, la plus grande part des informations. Un peu comme si, alors qu’il mange un steak, il apprenait qu’il venait du Japon et en concluait dubitatif que c’est impossible car un boeuf ne sait pas nager. C’est encore pire, car il se contredit.

Il se contredit, car pour lui et pour toutes celles et ceux qui sont de son avis, il y a un présupposé indiscutable : un homme transgenre sera toujours une femme. Mais il persiste à dire que même un homme transgenre ne peut pas être enceint, et cela alors que selon lui c’est toujours une femme… il relègue ce dernier petit détail qui l’aiderait pourtant à s’extraire de ce dédale intellectuel.

 

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En guise de conclusion, je vais continuer mon tour d’horizon des personnalités de l’alt right américaine les plus influentes en ligne.

Matt Walsh, qui s’auto-proclame fasciste théocrate, est un activiste et influenceur ultra-conservateur, chrétien fondamentaliste. Employé par The Daily Wire, il est auteur du pseudo-documentaire anti-trans, What is a Woman ? [Qu’est-ce qu’une femme ?] produit par The Daily Wire et dans lequel il pose cette question à différentes personnes. Ce documentaire a le mérite de montrer que le problème fondamental des conservateurs, ce sont avant tout les femmes trans. On peut faire l’hypothèse que c’est peut-être lié à la crainte qu’ont ces hommes d’être émotionnellement dupés par la beauté d’une femme trans. Matt Walsh plaide pour le mariage des mineurs et l’abaissement de l’âge du consentement.

Citations

« Dans la société occidentale moderne, nous avons retardé l’entrée dans l’âge adulte et inventé un nouveau type d’être humain : l’ »adolescent ». L’adolescent vit dans les limbes que nous avons créées ; nous l’appelons « adolescence ». L’adolescence est une innovation moderne de pointe, comme le crack ou la guerre chimique. »

« La conquête, la colonisation et le peuplement de cette terre ont été dans l’ensemble une bonne chose, noble et courageuse. C’est une bonne chose et nous devrions en être reconnaissants. Les personnes qui sont venues ici et ont revendiqué cette terre étaient des héros. C’était héroïque. Et ils étaient des héros non pas à cause des autres bonnes choses, mais parce qu’ils sont venus et qu’ils ont revendiqué cette terre. »
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Candace Owens est une commentatrice et une militante politique conservatrice. Elle est affiliée à The Daily Wire mais a aussi collaboré avec Prager U et Blaze Media. Comme caution Afro-américaine de la droite conservatrice, elle s’oppose radicalement à l’idée d’un racisme systémique au États-Unis. C’est un prisme fréquent dans la communauté noire américaine assez chanceuse pour être du bon côté de la barrière sociale.

Citations

En réaction à une publicité de sous-vêtements avec des mannequins handicapés :

« Je ne comprends pas vraiment jusqu’où nous allons pousser cette histoire d’inclusion. Je ne comprends vraiment pas. Je ne sais pas. Si j’ai tort, encore une fois, éduquez-moi. Aujourd’hui, je veux juste être informée dans les commentaires. Si les personnes en fauteuil roulant se disaient, en regardant autour d’elles, « vous savez, ce qui me dérange vraiment… c’est que je n’ai jamais vu de soutien-gorge ou de sous-vêtements avec une fille en fauteuil roulant dans une publicité », pourquoi ont-ils [Skynet] choisi de faire de la publicité pour un soutien-gorge ou un sous-vêtement ? … Pourquoi ont-ils [Skims] fait cela ? Je ne sais pas, je ne sais pas pourquoi cela doit être fait. Je commence à en avoir assez de cette histoire d’inclusivité. C’est ridicule. »

Effaçant le génocide des Juifs du tableau :


« Lorsque l’on parle de nationalisme, la première chose à laquelle les gens pensent est Hitler. C’était un national-socialiste. Si Hitler voulait simplement faire de l’Allemagne une grande nation et que tout se passe bien, d’accord, très bien. Le problème, c’est qu’il avait des rêves en dehors de l’Allemagne, il voulait se mondialiser, il voulait que tout le monde soit allemand, que tout le monde parle allemand, que personne n’ait l’air différent. »

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Kelly Jay-Keen-Minshull, alias Posie Parker, est une activiste et influenceuse transphobe britannique rattachée au mouvement féministe des TERF (Trans-Exclusionary Radical Feminist). Elle organise régulièrement des réunions publiques qui attire les groupes néo-nazis. Elle est soutenue par J.K Rowlings, l’auteure d’Harry Potter. Elle est en faveur de la stérilisation des personnes transgenres, entre autre joyeusetés.

Citations

« Ecoutez, je vais juste le dire… Si le suicide des trans est une réalité… Est-ce que les personnes trans sont juste nulles à ça ? »

« Je réalise maintenant que beaucoup d’hommes se suicident. C’est ce qui se fait… une sorte de croisement entre l’incapacité à gérer les choses et une crise de colère, mais je ne crois pas que les hommes d’une quarantaine d’années qui veulent soudainement porter une mauvaise perruque et s’appeler Jenny soient suicidaires. »

« Dans certaines situations, exclure et discriminer, ça me convient parfaitement. »
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Michael J. Knowles est un commentateur et influenceur politique conservateur employé par The Daily Wire.

Citations

« Pour le bien de la société, et en particulier pour le bien des pauvres personnes qui sont devenues la proie de cette confusion, le transgenrisme doit être totalement éradiqué de la vie publique. »

« Mussolini était un sale type. Ce n’était pas le pire des hommes, ce n’était pas Staline ou Lénine, mais Mussolini, disons-le, était au moins un mélange des deux, penchant du côté du mauvais. C’était un mauvais dirigeant politique. Franco était, dans l’ensemble, plutôt bon. »
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Tucker Carslon, dont j’ai déjà parlé, était journaliste pour la chaîne ultra-conservatrice Fox News qui l’a récemment licencié pour des propos diffamatoires liés à l’invasion du Capitol le 6 janvier 2022. Il est aujourd’hui actif sur X.

Citations

Défendant le fondamentaliste mormon Warren Jeffs incarcéré à vie pour viol sur mineurs :

« ce [le mariage des enfants] n’est pas exactement la même chose que de tirer un enfant d’un arrêt de bus et de l’agresser sexuellement. »

« Le violeur, dans ce cas, s’est engagé à vie à vivre et à prendre soin de la personne, c’est donc un peu différent. »

Parlant des femmes :

« Elles détestent la faiblesse. Elles sont comme des chiens à cet égard. »

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Toute ma gratitude au docteur Hubert pour sa relecture et les suggestions qu’il m’a faites et qui ont affiné ma réflexion.

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(1) le terme « dysphorie de genre » est discuté au sein de la communauté transgenre car il renvoie à l’idée d’une psychiatrisation à laquelle, comme l’a fait dans le passé la communauté gay, elle s’oppose radicalement.

(2) l’affaire de la clinique Tavistock de Londres est emblématique d’une information véhiculée sans la moindre volonté d’examiner les détails parce qu’ils contredisent la version requise et qu’ils sont inintéressants voire improductifs pour l’accomplissement du but recherché, que celui-ci soit lucratif ou idéologique. Il est naturellement très compliqué de contrer cette désinformation sans avoir soi-même étudié dans le détail les faits. Aujourd’hui, le nom de Tavistock évoque « la clinique de l’horreur » où on a mutilé de force des dizaines d’enfants pour changer leur sexe. Voilà tout est dit et la désinformation remplit l’oeuvre pour laquelle elle a été fabriquée ex nihilo : angoisser. Sauf qu’il s’agit d’une fiction, digne d’une séance de brainstorming dans les bureaux de Netflix ou d’HBO. La réalité est beaucoup plus mesurée. L’affaire de la clinique Tavistock, c’est en fait l’affaire Bell contre Tavistock. Keira Bell, alors jeune adolescente, a suivi un parcours de transition dans les règles et le respect de la loi. Selon ses propres mots, lorsqu’elle se présente à la clinique pour devenir un garçon, elle est catégorique. Après la procédure thérapeutique d’usage, à 16 ans, on lui prescrit des bloqueurs de puberté, à 17 ans des hormones et à 20 ans, elle subit sa première opération chirurgicale. Cinq ans plus tard, après une longue période de remise en question, elle décide de détransitionner, avec des séquelles irréversibles, et de poursuivre la clinique en justice. Tavistock, c’est une histoire de regrets mais c’est l’histoire d’une seule et unique personne, Keira Bell. Il y a probablement dans son parcours quelque chose qui a été mal évalué, mais il n’y a pas et il n’y a jamais eu des dizaines d’enfants mutilés sous la contrainte ou sous influence à la clinique Tavistock. Cette histoire est avant tout liée à une particularité de la loi britannique : la compétence Gillick. Cette dernière donne à un(e) mineur(e) de 16 ans le pouvoir de prendre une décision médicale sans avoir besoin de l’accord d’un responsable légal. Elle s’appliquerait par exemple dans le cas où les parents d’une jeune fille enceinte après un viol la contraindraient, par conviction religieuse, à garder son enfant. Ou dans celui d’un jeune qui, contrairement à ses parents, souhaiterait être vacciné contre le covid. Elle s’applique à Keira Bell, qui a par conséquent perdu son procès en appel contre Tavistock. Ni la clinique Tavistock ni son service de prise en charge des adolescents (et non des enfants) en questionnement de genre, le GIDS (Gender Identity Development Service), n’ont été fermés, comme cela a été annoncé dans la presse française et les médias spécialisés (sans que la moindre correction ait été apportée depuis), et leur site est toujours actif. L’ »affaire Tavistock », c’est encore une fois, l’histoire d’un mensonge.

(3) les drag queens n’ont jamais été diabolisées au point où elles le sont aujourd’hui. Elles ont même été un élément central de la culture populaire occidentale. On ne compte pas les films grand public où elles font une apparition : This is the Army, Certains l’aiment chaud, Faster Pussycat, kill, kill, Tootsie, Victor/Victoria, Priscilla, folle du désert, Laurence Anyways ou en France, La cage au folles, Tenue de soirée ou Chouchou. Dans de nombreuses autres cultures, on trouve des occurrences nobles du travestisme, dans lesquelles des hommes prennent la place et le rôle de personnages féminins, comme dans l’Opéra de Pékin ou le théâtre Nô japonais sans que ces performances soient interdites aux enfants par crainte de les plonger dans une confusion de genre.

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 Publication originale Tais-toi Xiao

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Ce texte est proposé afin d'élargir le champ de réflexion, ce qui ne signifie pas systématiquement caution à l’analyse et aux opinions qui y sont développées. La responsabilité d'activista.be s'arrête aux propos reportés ici. activista.be n'est nullement engagé par les propos que l'auteur aurait pu tenir par ailleurs et encore moins par ceux qu'il/elle pourrait tenir dans le futur.