M.Hanes : « Pourquoi sommes-nous attirés par la guerre ? »

L'apothéose de la guerre, Vassili Verechtchaguine (1871)
 L'apothéose de la guerre, Vassili Verechtchaguine (1871)

Margareta Hanes (Docteure en philosophie politique VUB / ? / Belgique)
Opinion publiée le 15 février 2023 par La Libre

Pourquoi sommes-nous convaincus que ce n’est que par la destruction que nous gagnerons ? Que seule la force musculaire nous apportera la victoire ?


Pourquoi voulons-nous la poursuite d’une guerre par tous les moyens, plutôt que d’essayer de l’arrêter par des moyens diplomatiques ? Plus la guerre dure, plus le désir de négociation diminue, au lieu d’augmenter le désir d’un accord de paix. Certes, on répondra qu’on continue la guerre pour l’arrêter, pour arrêter la volonté de destruction de l’agresseur. Mais est-ce vraiment ce qui advient ?

Il est douloureux de voir comment des dizaines de milliers de personnes tentent de survivre au terrible tremblement de terre en Turquie et en Syrie, et d’entendre, dans le même temps, des discours qui promeuvent l’utilisation d’armes ou valorisent la menace des armes nucléaires. Ce sont là deux images opposées : l’une de la vie (essayer de sauver le plus de vies possible sous les ruines – la vie est alors prioritaire), la seconde de la destruction (car les armes ne font que détruire). Ici aussi, des voix prétendront que non, les armes sauvent aussi des vies. Ainsi soit-il. Leur but est pourtant bien de détruire d’autres vies ; la finalité des armes est la destruction. Le philosophe Günther Anders a d’ailleurs souligné le fait que l’industrie de l’armement provoque des guerres, plutôt que les guerres produisent des armes. 

La simplicité l’emporte

Pourquoi sommes-nous convaincus que ce n’est que par la destruction que nous gagnerons ? Que seule la force musculaire nous apportera la victoire et l’humiliation de l’ennemi ? “Nous irons jusqu’au bout”, tel est le slogan dominant. Jusqu’au bout de quoi ? De sacrifices humains, de haine, de vengeance, de violence, de cruauté ? Tout ce que nous critiquons chez l’ennemi, ne sommes-nous pas disposés à le mettre en œuvre ? Allons-nous nous armer jusqu’aux dents pour être le plus violent possible ?

En état de guerre, notre appétit destructeur est continuellement stimulé. Le sacrifice est porté à un niveau élevé. Des milliers de soldats, des deux côtés, sont appelés à sacrifier leur vie, à vaincre leur peur de tuer, à semer la haine et la vengeance envers l’autre afin d’être motivés pour avancer. L’instinct primaire d’auto-préservation disparaît progressivement. L’autre devient une simple cible qu’il faut éliminer au plus vite. Et ce qui est plus triste, c’est que non seulement celui qui est devant nous, l’ennemi direct, doit être détruit, mais tout ce qui lui est associé. Dostoïevski devient soudainement un poutiniste, certains joueurs de tennis aussi. En sens contraire, tous les Ukrainiens sont nazis. C’est donc aussi vers eux que la haine doit être dirigée, tant la pensée bipolaire prévaut au cours d’une guerre. La complexité, la nuance doivent disparaître, un imaginaire de haine absolue se met en place et la simplicité – c’est-à-dire l’absolutisme – l’emporte.

Et le combat continue…

Aussi étrange que cette pensée puisse paraître, la guerre unit. Nous recherchons des alliés, nous convainquons le plus grand nombre de partager nos pensées de victoire, notre besoin de revanche, ou au contraire de cupidité. Dans son ouvrage, Pourquoi la guerre ? (Albin Michel, 2023), le philosophe Frédéric Gros souligne qu’il y a trois raisons pour lesquelles on déclenche une guerre : la peur, la cupidité et la gloire. Dans le cadre de l’Ukraine, il semble que ce soit la gloire qui dicte la raison pour laquelle la guerre continue. Il est en effet peu probable que les Russes abandonnent les territoires occupés. Et l’Ukraine fera tout son possible pour reconquérir ses territoires perdus. Des deux côtés, toute perte est vécue comme un échec, comme le contraire de la gloire. Et comme la guerre unit, crée une communauté qui fait avancer ceux qui sont prêts à se sacrifier, le combat continue.

Bien que l’histoire nous ait montré que la guerre s’accompagne toujours de souffrances terribles, il est triste de voir certains parler de la poursuite de la guerre avec une passion et une intensité extraordinaires. Derrière des slogans tels que “Envoyons plus d’armes !”,“Envoyons plus de soldats !”,“Nous utiliserons des armes nucléaires !” il semble que l’objectif principal ne soit pas nécessairement la défense de son propre territoire, mais la destruction totale de l’autre. Kant a dit que tant que l’ennemi n’est pas considéré comme étant digne d’être un interlocuteur, aucun accord de paix n’est possible. Un tel accord nécessite en effet un minimum de confiance mutuelle, sinon la guerre devient une guerre d’extermination.

Enfin, nous devons nous demander ce que signifie réellement la guerre pour nous. Est-ce le développement de l’instinct de destruction, la culture d’un récit où l’autre est l’ennemi qu’il faut éliminer à tout prix ? Ou plutôt le développement de l’instinct de protection de la vie humaine, de nos semblables ? Cette question, seul chacun de nous peut y répondre.

Publication originale La Libre

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