Publié le le 2 janvier 2024 sur le blog de l'auteur Tais-toi Xiao
C’est un pic… c’est un cap… que dis-je, c’est un cap ? C’est une péninsule ! Le mammouth du cinéma français, dont la truculence filmique est à l’image de son physique d’ogre, est accusé à l’heure qu’il est (17h37) par pas moins de treize femmes de n’avoir pas su garder son obélisque dans son futal. Dans la vraie vie, on l’a vu et entendu, Depardieu n’a pas la délicatesse de Jean de Florette ou la poésie de Cyrano. C’est plutôt Bérurier sorti du placard. Lors d’un séjour en Corée du Nord, sous le soleil de Satan, ses valseuses le démangèrent tant et tant qu’il harcela de ses ardeurs paillardes de pauvres femmes qui n’y entravaient que pouic. On eût préféré qu’il aille écouter le cri du cormoran le soir au-dessus des jonques de la Baie de Joseon.
On ne va pas lui charger la mule, à notre Gérard national. La justice suit son cours, comme on dit. Et puis, tout le monde sait qu’on peut faire dire ce qu’on veut aux images. Même si pour d’autres raisons bien plus sérieuses que sa lubricité, elles sont en mesure de soulever le coeur. Il n’en reste pas moins que c’est comme souvent dans la périphérie des évènements qu’on trouve matière à réflexion, notamment dans les réactions en sa faveur.
Macron d’abord, affichant son soutien pour l’acteur qu’il juge être la proie d’une «chasse à l’homme». Le terme est clairement mal choisi. Aurait mieux valu celui de «lynchage médiatique» au lieu de vouloir ménager la chèvre et le chou. Ainsi ressort l’idée, plus ou moins consciente, que ce sont les femmes, autrement dit les victimes présumées de ce demi-dieu, qui traquent l’homme pour l’abattre. Et moins celle que, comme à leur habitude, les charognards médiatiques se repaissent d’un homme à terre. Surtout, l’Éborgneur en chef balaie d’un revers de main l’idée d’ôter à Gérard sa Légion d’honneur. Renseignement pris à la source, la rosette a pour vocation de récompenser celles et ceux qui oeuvrent au rayonnement de la France et peut être retirée à celles et ceux qui nuisent à son honneur. Alors, où est l’honneur dans le comportement de Depardieu en Corée du Nord ? Est-ce que le rayonnement de la France se résume à ce que les hommes ont dans le pantalon ? La grandeur de la France en serait réduite à sa beaufitude. Car c’est d’abord en beauf que Depardieu s’est comporté, permettant au passage de mieux définir le terme : loin d’être l’attribut prolétaire que lui prête souvent la bourgeoisie, il dépeint bien celui qui en tout et avec tous se croit autorisé à toutes les vulgarités. Au-delà de ses paroles sexistes, ce qu’aucun observateur n’a relevé, c’est le racisme intrinsèque de ses actes, celui que son pote de toujours, Jean Carmet, qui s’il était encore de ce monde lui aurait peut-être tiré les oreilles, a incarné dans Dupont-Lajoie. On ne peut alors s’empêcher de penser, quand on le sait, à Zineb El Rhazoui qui, bien qu’un temps idiote utile de la laïcité à la Charlie, vient de se voir déchue du prix Simone Veil pour avoir pris des positions pro-palestiniennes. Encore un petit effort et la géométrie variable deviendra discipline olympique pour Paris 2024.
En attendant, ni la Corée du Nord, ni les Nord-Coréennes ne méritent qu’on s’arrête ne serait-ce qu’un instant à l’offense qui leur a été faite.
Qu’elles se démocratisent d’abord.
Mentalité de colonisateurs.
C’est dans l’air du temps, je suppose.
Et puis, il y a ces personnalités médiatiques, éternellement égales à elles-mêmes dans leur penchant à se contredire sourire aux lèvres et doigt d’honneur à l’honnêteté intellectuelle. Quand le patriarcat est impliqué, paradoxalement, alors que les hommes font profil bas, on trouve beaucoup de figures féminines qui prennent fait et cause pour une masculinité en péril : celle du droit de cuissage, de la main aux fesses, de la torgnole ou du «Touche pas au grisbi, salope !» Nostalgiques d’une France à papa sans doute, d’un temps où elles étaient pourtant confinées aux casseroles et aux moutards, mises à l’écart des tribunes dont elles bénéficient aujourd’hui, elles s’auto-proclament avocates des vrais hommes, aux mains larges, lestes et baladeuses. Les cantonner à la droite de l’échiquier politique serait une erreur. Elles existent aussi à sa gauche : Quatennens a pu lui aussi bénéficier de leur indulgence. La vraie coupable, ce n’est ni la main ni la queue : c’est la féministe ! Ce serait risible si Place Beauvau ne trônait pas un pointeur notoire. Passons. En l’occurrence, une des plus virulentes partisanes du patriarcat et de ses privilèges s’appelle Élisabeth Levy. Conservatrice jusqu’au bout des ongles, sévissant au Figaro ou chez Causeur, prodiguant ses opinions sur RTL, Europe 1 et sur les ondes de Radio-Sud qui ressemble de plus en plus au rivage sur lequel s’échouent les vieilles baleines réacs, cette chroniqueuse s’est fendue d’une tirade magnifique de mauvaise foi pour justifier les images d’un Depardieu libidineux devant le spectacle d’une petite fille nord-coréenne prenant des leçons d’équitation : «Freud a dit depuis fort longtemps que les enfants étaient des êtres sexuels!» Ça, par contre, ce serait triste à mourir, pathétique même, si on n’avait pas cette petite occasion d’en rigoler en se remémorant ce qu’elle disait tantôt à l’idée d’une éducation sexuelle à destination des enfants.
Enfin, il y a le milieu, le gotha. Celui du cinéma français, s’entend. Et si certains, et tout particulièrement certaines, ont fini par se mettre à table sur l’impunité dont a bénéficié le Pantagruel du Septième Art, beaucoup se sont tus et quelques-un(e)s ont même signé une pétition pour que cesse cette chasse à l’éléphant. Sauf que. Sauf que l’individu à l’origine de cette pétition n’est pas aussi propre que ce qu’elle est censée défendre, c’est-à-dire la présomption d’innocence. Il a même une histoire plutôt louche dans le domaine, et c’est un euphémisme : prises de position répétées pour Polanski puis pour Matzneff, aveux de tendances inavouables, genre corruption de mineures, viols et agressions sexuelles. Cerise sur la charlotte affreuse de cette intelligentsia davantage motivée pour porter secours à l’un des siens que pour sauver les enfants de Gaza : cette pétition est l’oeuvre d’un zemmourien convaincu. C’est ballot ! En tout cas, Pasolini aurait apprécié ce détail croustillant, lui qui adorait associer fascisme et perversion. Et les voilà maintenant tous et toutes empêtrés dans leur bêtise et leurs contradictions, se rétractant, se dédisant, s’emmêlant les pinceaux dans leurs explications, incapables qu’ils ont été de réfléchir avant d’agir dans l’intérêt de leur compte en banque et probablement, c’est vrai, au nom de leur amitié pour Gérard. Ces artistes embourgeoisés ont quelque chose des méduses : dans leur élément, ils sont poétiques mais échoués sur la plage du réel, ils deviennent flasques et pitoyables.
Il faut quand même parler un peu des victimes présumées de Gérard. Oh, pas les Coréennes, ni la môme sur son poney. Celles-là, soit elles ne l’ont pas compris, soit elles ne l’ont pas entendu. Peu importe que parmi elles, il y ait eu des interprètes, des francophones ou que la télévision et Internet, en Corée du Nord, ça existe. Si, si. Que la petite fille, ou bien juste ses parents, à la vitesse où circulent les informations aujourd’hui, a dû prendre connaissance des commentaires que « le plus grand acteur français » a fait à son endroit. Non, non, les « vraies » victimes présumées : les jeunes femmes qui l’accusent de les avoir tripotées, pelotées et/ou violées. On vous l’a dit, la justice suit son cours, mais il convient de répondre à l’argument ô combien central que certains hommes exaspérés par tant d’acharnement brandissent comme le Saint Graal : que pour eux, il serait, mmmh, suspect de se réveiller tant d’années après le crime pour le révéler. C’est du même tonneau que prétendre qu’un viol sans résistance ne serait pas un viol. Au-delà de son aspect purement sexuel, cette violence est d’abord un acte de pouvoir, un acte de domination de l’autre : celui du fort sur le faible, de l’adulte sur l’enfant, du maître sur l’esclave. Dans un contexte où la force n’est plus seule condition de cette domination, toute position supérieure dans une hiérarchie sociale permet d’accéder à ce pouvoir. En cela, une jeune actrice débutante face à un acteur ou un metteur en scène reconnu n’est pas différente d’une ouvrière devant son patron ou son chef. La seule différence est dans l’usage que les seconds font de leur pouvoir. Et confrontée à un abus de pouvoir, elle se retrouve face à un choix : dénoncer et perdre son travail, se taire et le garder. Dans le cas d’une jeune actrice qui accuse un monstre sacré, ça peut vouloir dire l’arrêt définitif de sa carrière. La mise sur liste noire. Et c’est l’ingrédient principal de l’omerta. Pas étonnant qu’il faille que le géant vacille pour qu’on s’attaque à lui. Ni condamnable.
Le cinéma français et Gégé, c’est comme un paquebot et une bitte : elle le maintient à quai, mais un jour ou l’autre, il faudra larguer les amarres.
Publication originale Tais-toi Xiao
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