Témoignage de Gaza : «Israël veut nous pousser dehors, vers le sud, comme en 1948»

Dessin : Chappatte - 2006 (!) - www.chappatte.com

 

Par Malika Nedir (Journaliste / ? / Suisse) 

Publié le 15 octobre 2023 par la Tribune de Genève

Plus d’un million de Palestiniens ont été déplacés en une semaine dans la bande de Gaza, sous les bombes et la menace d'une offensive. Un exode qui ravive le souvenir de la Nakba. 

Alors que des centaines de milliers de Palestiniens ont évacué Gaza, Rami Abujamus, journaliste, refuse de quitter son appartement. Il vit avec sa femme et son fils de 2 ans au 9e étage d'une tour dans le quartier de Rimal, où plusieurs immeubles ont été bombardés par l'armée israélienne. Le bilan des frappes s'élève à 2670 Palestiniens tués en une semaine. «Pendant toutes les guerres précédentes, j'ai couvert l'info, dit Rami. Aujourd'hui, je me rends compte que c'est moi l'info.» 

Joint au téléphone, il raconte l'attente avant l'offensive et le sentiment d'abandon des Palestiniens.

Malika Nedir : L'offensive israélienne s'annonce massive. Pourquoi restez-vous à Gaza?

Rami Abujamus : Israël ne veut pas seulement éradiquer le Hamas, mais se venger de nous. L'armée israélienne bombarde toute l'enclave, même au sud, où elle nous dit d'aller, à Deir el-Balah, Nuseirat, Khan Younès, Rafah. Donc ce n'est pas la peine de partir. On sait que les Israéliens ont les moyens de viser une cible de la taille d'une épingle s'ils veulent tuer un membre du Hamas. Pourquoi nous punir ainsi? Si un homme commet un crime, ce n'est pas à ses enfants de payer pour lui! Israël est un État, qui est censé respecter le droit international.

Que dites-vous à ceux qui reprochent aux Gazaouis de soutenir le Hamas?

Je ne défends pas le Hamas, on n'est pas Daech, on ne tue pas les gens. On veut juste notre liberté, vivre comme tout le monde, dans un État palestinien aux côtés d'un ´État israélien. Donnez-nous un État et il n'y aura plus de Hamas! Tout cela est dû au blocus, à l'occupation. On est des êtres humains, on ne veut pas vivre comme des esclaves. Pourquoi tout le monde se mobilise pour l'Ukraine quand elle est envahie et occupée par la Russie et pas pour nous? Parce qu'on n'a pas les cheveux blonds et les yeux verts? Pourquoi le monde entier a-t-il oublié qu'on vit sous occupation? On est pareils que les Ukrainiens, on ne veut pas être occupés!

Pourquoi les Palestiniens parlent-ils d'une nouvelle Nakba (l'exode forcé de centaines de milliers de Palestiniens en 1948)?


Ici 80% des Gazaouis sont des réfugiés de 1948, originaires de Haïfa, Jaffa, Ashkelon, Ashdod, chassés de leurs maisons vers le sud par la Haganah (ndlr: l'organisation de défense sioniste qui a servi de base à l'armée israélienne). Ce qu'on vit, c'est la Nakba de 2023. Les Palestiniens doivent à nouveau fuir vers le sud. Sauf qu'aujourd'hui, c'est l'armée d'Israël qui veut nous pousser dehors, vers le sud, comme en 1948. En nous appelant à quitter Gaza, Israël est en train de «réfugier les réfugiés». Il veut vider Gaza pour l'annexer, en prétextant qu'il veut éradiquer le Hamas. Moi, je résiste, je ne veux pas bouger et me retrouver dans un camp de réfugiés en Égypte. Je préfère mourir dignement plutôt que fuir ma terre. 

Les Israéliens disent que Gaza n'est plus sous occupation depuis leur retrait en 2005…

La bande de Gaza est sous blocus permanent depuis 2007. Et le blocus terrestre, aérien, maritime, c'est comme l'occupation. Pourquoi je ne peux pas pêcher ou sortir en bateau au-delà de trois milles marins? Pourquoi je ne peux pas aller en Cisjordanie? Pourquoi Israël décide qui peut entrer et qui peut sortir de Gaza? Combien de nourriture et quelles marchandises peuvent y entrer? Presque aucune matière première n'entre ici. Et si on arrive enfin à construire une usine, deux ans après, elle est bombardée. Israël détruit tout, il ne veut pas qu'on ait une économie. On est comme des chiens auxquels on donne juste à manger et à boire.

Comment allez-vous tenir ces prochains jours?


On a juste quelques provisions et des couches pour mon fils. Quand ça bombarde, je lui dis: «Joyeux anniversaire» pour le distraire. Il me regarde avec l'air de dire: «Je sais que tu mens», mais il applaudit avec moi. Le soir, on retrouve nos voisins au rez-de-chaussée. On est encore une trentaine dans la tour. Les femmes s'installent dans une petite pièce et nous, les hommes, on reste dans le hall. On se rassemble la nuit pour avoir moins peur. J'ai toujours avec moi un sac à dos avec quelques affaires: nos passeports, nos papiers, un peu d'argent, des photos et des souvenirs. Pour que les Israéliens n'effacent pas notre histoire, la trace de notre vie à Gaza, en bombardant notre immeuble…

 Publication originale : Tribune de Genève

Illustration : Chappatte

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