Les torts d’Adrien Quatennens

Par Xiao Pignouf (Ouvrier, Enseignant / gauche/ France)

Publié le 17 juin 2023 par l'auteur

On constate, pour ma part avec un mélange de perplexité et d’étonnement, qu’une certaine partie de la gauche, plutôt radicale et anti-capitaliste, fréquemment féminine, défend bec et ongles le député insoumis contre les terribles féministes qui le poursuivent, leur attribuant tous les défauts du monde et les cataloguant, qui outrancières, qui opportunistes. C’est, je dois dire, un phénomène assez étrange de voir des femmes de gauche défendre un homme qui a frappé une femme, même une seule et unique fois, contre celles qu’elles considèrent comme des hystériques, terme ô combien misogyne d’ordinaire. La tendance conservatrice s’infiltrant partout, même à gauche de la gauche, n’y est pas étrangère.

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Avant d’aller plus loin, il faut que je me mette à table. Aussi difficile à avouer que ce soit. Il y a à peu près vingt-cinq ans, j’ai giflé ma compagne de l’époque dans un contexte similaire à celui de Quatennens. Une fin de relation difficile, un amour finissant contre mon gré. Un geste lancé par immaturité, égoïsme et faiblesse. Je n’ai donc de leçon à donner à personne.

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Je le dis par précaution : j’aime bien Quatennens. Jeune et talentueux, il pourrait succéder à un Mélenchon vieillissant et ramollo. Cet ancien cadre moyen chez EDF ferait un grand homme de gauche, le chef que beaucoup espèrent. Il se pourrait qu’on ne le sache jamais, ou au mieux pas avant longtemps.

Sa carrière est très compromise, peut-être foutue.

Et il y a une hypocrisie commass, un refus colossal de regarder la réalité des faits : Adrien est le principal responsable de sa mouise. Je dirais même le seul. Et en faire le reproche aux féministes ou aux médias est parfaitement vain. On ne blâme pas le squale qui croque l’imprudent baigneur.

Du coup, il paraît essentiel autant que rationnel de faire une critique de son geste, de ses suites et de ses répercussions. Oui, je parle de critique, pas de condamnation. Condamner est réservé à la justice ou pour des faits beaucoup plus graves qu’une gifle. Critiquer requiert des arguments, condamner, seulement des émotions.

Or, des arguments, il y en a quelques-uns.

D’abord, d’un point de vue moral, aucun homme ne devrait lever la main sur une femme. Une gifle, derrière sa nature humiliante et oppressive, peut aussi avoir des conséquences dramatiques par la violence avec laquelle elle est assénée. C’est de ce point de vue que la défense consistant à arguer que les femmes giflent aussi les hommes n’est pas valide. Certes, la violence est un mauvais choix d’où qu’elle provienne, mais de manière générale, c’est d’abord celle des forts contre les faibles que l’on réprouve. Par ailleurs, on relèvera souvent (sans pour autant que je puisse en donner une preuve, chacun confirmera ou infirmera ce que je dis par sa propre expérience) que les hommes violents avec les femmes sont souvent lâches lors d’une confrontation avec d’autres hommes. Un homme qui a levé la main sur une femme ne serait-ce qu’une fois, perdant ainsi le contrôle de lui-même, se maîtrisera beaucoup plus face à un adversaire masculin, par instinct de survie. L’autre argument bancal des avocats auto-commis d’office de Quatennens, c’est d’ailleurs qu’il n’aurait giflé sa femme qu’à une seule reprise : je me demande ce qu’en penseraient les femmes si chaque homme avait le droit à une mandale à la Bébel avant d’être taxé de goujaterie…

La perte de son self-control est l’autre argument en défaveur de Quatennens. Bien sûr qu’il s’agissait d’une dispute conjugale lors de laquelle les invectives et menaces probablement échangées entre lui et son ex-épouse ont pu avoir un caractère anxiogène et déstabilisateur. Bien sûr que ce geste est la seule violence qu’il ait jamais commise au sein de son couple et que par conséquent on ne peut absolument pas classer son histoire dans la catégorie «violences conjugales» au pluriel. Mais il s’agit indéniablement d’une violence conjugale qui bien qu’unique, soudaine et sans précédent, sera amalgamée aux violences structurelles de conjoints envers leurs conjointes par des personnes qui sont radicalement opposées à toute violence envers les femmes ou par d’autres, surtout, qui sont malintentionnées et désireuses de faire chuter un homme important, qui plus est figure de gauche, modèle de probité et possible futur candidat à la présidence de la plus grosse force politique de gauche. C’est précisément sur ce point que Quatennens a merdé grave. Quatennens n’est pas Raoul Plumard du rez-de-chaussée ou le pékin lambda assis sur le siège du RER en face de vous. Ce ne sont pas les féministes qui ont levé le bras de Quatennens pour l’abattre sur la joue de sa femme, ce ne sont pas les journalistes de BFMTV qui lui ont soufflé à l’oreille qu’il serait bon de « faire taire cette connasse ». C’est lui et lui seul qui a décidé de le commettre au lieu de réfléchir une demi-seconde aux conséquences qu’il allait avoir sur sa vie politique et sur celle de ses camarades, sur l’opportunité en or massif qu’il allait donner à ses adversaires politiques de le pourrir et de foutre en l’air des années de militance.

Tout cela était d’autant plus prévisible que les Insoumis se sont toujours placés en tête du combat pour l’égalité hommes-femmes, contre toute violence et discrimination faites aux femmes. Tu parles que leurs ennemis politiques ont trouvé là matière à rigoler et à décrédibiliser toute tentative de minorer la teneur du geste de Quatennens ou pire, de pointer la faute chez les autres ! Oui, tout cela était couru d’avance.

Et Quatennens n’a pas seulement merdé juste avant, il a aussi merdé après.

Malgré l’aveu de son geste, l’intervention tweetée de Mélenchon, qui a perdu là une putain d’occasion de s’écraser, louant le courage d’Adrien, son BFF*, et l’assurant de son soutien indéfectible, oubliant au passage la destinataire malencontreuse de la baffe insoumise, a valu blanc-seing pour le blanc-bec. Dès lors, absout par le grand patron, au lieu d’entamer le long chemin de croix de la rédemption, il est entré dans la première auberge pour se bâfrer. Certes, il est passé devant monsieur le juge, a été condamné à du sursis et à 2000 euros de dommages et intérêts, suspendu de ses fonctions pendant quelques semaines, fait un petit stage de sensibilisation aux violences conjugales, c’est hélas insuffisant au regard de la cruelle réalité. Attention, loin de moi l’idée de contester la décision de justice ou de juger la peine trop légère. Pour une gifle et une méconduite auxquelles on trouvera des circonstances atténuantes dans un contexte de séparation impliquant la garde d’un enfant, la justice a semble-t-il opéré avec justesse. Le problème n’est pas là. Quatennens sait très bien que la justice n’est plus seulement rendue dans les tribunaux. Les palais de justice jugent les Adrien Quatennens comme les Raoul Plumard. Pas les réseaux sociaux ni les médias. On peut en penser tout le mal du monde, c’est malheureusement un paramètre qu’un homme ou une femme publique ne doit ignorer dans une situation difficile, au risque de voir son image écornée et surtout de se livrer en pâture aux charognards de tout poil. Plus encore lorsqu’on est une personne de principes comme Adrien Quatennens. Non, celui-ci n’est pas blanchi par le verdict, il n’est lavé en rien du soupçon d’être un homme intrinsèquement violent envers les femmes. Le doute subsiste et il aurait fallu qu’au lieu de se contenter de sa peine, il s’attaque à le faire disparaître. Tant qu’il ne le fera pas, il ne relèvera pas la tête hors de l’eau. Pour diverses raisons, plus ou moins discutables, on la lui maintiendra sous la surface.

Qu’aurait dû ou que devrait-il faire ?

Analysons d’abord la situation dans laquelle il se trouve, à son corps défendant et en dépit du jugement rendu.

Il doit faire face à deux fronts distincts :

À sa gauche, les féministes lui réclament des garanties qu’il n’a toujours pas données. Ici, je me dois de clarifier un point de détail à rebrousse-poil de certain(e)s de mes camarades : espérer une attitude mesurée et compréhensive des féministes, prôner un féminisme moins remuant et tolérant les faux-pas brutaux des hommes, ce n’est pas du féminisme, c’est dans le meilleur des cas du conservatisme light. Rien d’autre.

À sa droite, ses adversaires politiques, et au premier chef la courtisanerie médiatique, trop heureuse de s’introduire dans la faille large et profonde comme la fosse des Mariannes qu’il lui a ouverte : on sait tous et toutes très bien que les pitbulls médiatiques ne lâcheront jamais l’os Quatennens. Que le temps de les abattre est loin devant nous et que cette affaire est un obstacle supplémentaire que nous avons nous-mêmes placé sur la voie qui nous émancipera de cette domination.

Dont acte.

Cher Adrien,

Démissionne de ton poste. Mets-toi un temps entre parenthèses de la mêlée politico-médiatique, abandonne tes émoluments de député et fais amende honorable. Confronte-toi à tes accusatrices et investis-toi auprès d’elles jusqu’à ce qu’elles voient en toi ce que tu es vraiment. Ce que j’ai la conviction que tu es. Puis, le temps venu, car tu es jeune, remets en jeu ce titre durement obtenu et si bêtement compromis. Tant que tu ne n’affronteras pas cette réalité en face, aussi injuste soit-elle, les quolibets voleront, les calomnies fuseront et tu porteras une étiquette infamante qui t’épuisera et te fera un jour abandonner le combat pour retourner à la tranquillité de l’anonymat. Toute autre stratégie n’éteindra pas le rire des hyènes. Et certainement pas celle qui consiste, pour minimiser ta faute, à te juger au regard des fautes sensément plus graves commises par d’autres, accusés ceux-là de viols ou autres abus sexuels. On ne compare pas un assassin à un violeur, un violeur à un voleur. Encore moins cette autre qui se résume à l’idée aussi fixe que fausse selon laquelle le mouvement féministe concentrerait toute son artillerie à condamner un seul homme. Par l’abandon de tes principes, tu t’es condamné tout seul.

(*) Best Friend Forever

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