« Wokisme » et « politiquement correct »

Alex MAHOUDEAU (dr en science politique / gauche / France)

Faysal RIAD (rédacteur militant du PIR / gauche / France)

 Publié par Les mots sont importants les 11 décembre 2022 et 6 novembre 2013

Les termes « woke », « wokisme » ou « politiquement correct », revenant toujours plus régulièrement, voici quelques extraits de textes sourcés les concernant. A commencer par une légère adaptation de la présentation du livre "La panique woke. Anatomie d’une offensive réactionnaire", d’Alex Mahoudeau, présentation lue sur le site « Les mots sont importants ».

Aux sources obscures du « wokisme », anatomie d’une offensive réactionnaire.

« Que dire des accusations de « wokisme » ? On peut en montrer l’absurdité, l’inanité, et retourner les procès en « censure » en montrant que ceux qui sont obsédés par le « woke », l’intersectionnalité ou encore l’islamo-gauchisme sont souvent les premiers censeurs et représentent tout autant, sinon plus, une menace pour la liberté d’expression.

Alex Mahoudeau examine cette étrange notion, jamais définie bien-sûr, comme tout épouvantail brandi pour faire taire. Pour mieux le contrer, l’auteur nous propose d’abord d’en faire l’histoire. Dans son livre, il restitue le résultat d’un minutieux travail généalogique qui nous emmène vers les États-Unis et la frange ultra-réactionnaire qui se renforce dans les années 1980. On retrouve bien-sûr au fil des pages les fameux « campus américains ». Mais loin des fantasmes bien enracinés en France, à droite comme à gauche, ces campus ne sont pas le terrain de folles opérations de censure prétendument menées par les mouvements antiracistes et féministes : ils sont plutôt la cible de ce mouvement conservateur, dont s’inspire aujourd’hui, de ce côté de l’Atlantique, cette mouvance réactionnaire obsédée par le wokisme ( adaptation de la présentation du livre La panique woke. Anatomie d’une offensive réactionnaire, d’Alex Mahoudeau disponible sur LMSI).

*

Suivent quelques extraits du livre La panique woke. Anatomie d’une offensive réactionnaire , d’Alex Mahoudeau, parmi ceux proposés par le site LMSI, entre autres :

« Le terme « woke » a une généalogie qui précède la panique et qu’il ne faut pas minimiser, notamment parce que le développement de cette panique s’appuie sur le détournement, dans un sens négatif, d’un slogan lié à un mouvement social antiraciste.

Toutefois, le terme connaît un réel succès dans le débat public et particulièrement dans les pages d’opinion, dans le cadre du développement de la panique morale, et est utilisé de façon quasi-univoque sur le thème du danger ou de la menace. Il change d’ailleurs quasiment immédiatement de sens : si le mouvement BLM (1) s’est d’abord développé dans la rue, à travers l’action d’activistes noirs, le « wokisme » est généralement présenté comme étant d’origine universitaire, et concernant des étudiants blancs rongés de culpabilité.

En France, quelques interventions reprennent le terme pour se le réapproprier, comme le fait de façon emblématique la candidate à l’investiture écologiste Sandrine Rousseau, interrogée sur son rapport au wokisme par Ruth Elkrief durant l’un des débats de la primaire écologiste, ou le député LFI Alexis Corbière face à Laurence Ferrari.

D’autres personnes affublées de ce stigmate n’ont pas choisi la stratégie de la reprise mais ont préféré au contraire dénoncer les mésusages du terme, tout en rappelant ses origines comme slogan ou comme mot employé par le mouvement antiraciste, notamment en ce qui concerne les personnes noires aux États-Unis.

Dès lors, la notion de woke et son dérivé idéologique supposé, le wokisme, prennent corps dans le débat public de la fin 2021 sous deux sens bien établis : soit les termes sont employés comme une dénonciation par des acteurs qui s’en méfient, soit ils sont employés par des acteurs accusés de s’en faire les importateurs, pour se réapproprier le stigmate ou pour critiquer le mot.

Le terme tel qu’il est construit conduit en effet à une telle attitude : s’il n’existe pas de « manifeste wokiste » (bien que des ouvrages aient pu, selon les points de vue, être traités comme tels), la littérature dénonçant le wokisme se révèle relativement cohérente.

Indépendamment de la thématique du wokisme, l’attribution des problèmes politiques au fait que la jeune génération serait excessivement sensible, dû à une vie de confort, fait l’objet d’une certaine popularité dans les milieux conservateurs durant les années 2010. Barbara Lefebvre décrit par exemple, dans un ouvrage de 2018, les dérives de la Génération « J’ai le droit » (2018), tandis que Caroline Fourest alerte sur celles de la Génération Offensée (2020) (2).

Plus qu’une hypothèse à prouver, cette idée est généralement prise comme un fait établi sur lequel il s’agirait d’alerter ou qu’il conviendrait d’expliquer, généralement par une variation autour du thème de l’irrationalité, des réseaux sociaux ou des écrans en général, des parents laxistes et de la douceur de vivre de l’époque contemporaine, qui préserverait ses bambins des difficultés de la vie.

Pourtant, même si la fameuse « génération de jeunes cocoonés par des parents-hélicoptère » (bien que les « millenials » en question approchent la quarantaine) n’a pas grandi dans l’ambiance terrifiante de la Guerre froide, sa vie n’a pas non plus été sans accrocs, du militarisme des années Bush à la multiplication de l’endettement étudiant, de la crise des subprimes à un marché du travail précarisé, par exemple.

Toutefois, des auteurs comme ceux de The Coddling of the American Mind ouvrent leur texte sur un tel constat : « Ce qui est nouveau, c’est le point de départ selon lequel les étudiants sont fragiles. Même ceux qui ne le sont pas eux-mêmes croient que les autres sont en danger et ont donc besoin d’être protégés. Il n’y a pas d’attente à ce qu’ils se renforcent en rencontrant des textes ou discours qu’ils qualifient de “ provocants ” [triggering] » (2018, p. 17). Cette attitude les pousserait à des attitudes de censure.

En effet, l’idée que les universités sont des lieux particulièrement touchés par les excès d’un militantisme par trop sensible aux questions d’identité et à la radicalité, notamment de gauche, n’est un thème nouveau dans le discours conservateur, ni aux États-Unis, ni en France. La polémique ayant directement précédé celle sur le wokisme concernait, dans ce dernier pays, l’islamo-gauchisme et le racialisme, dont le thème était essentiellement le même : des activistes d’extrême-gauche situés sur les campus auraient abandonné le sujet de la lutte des classes en faveur d’une approche compassée des minorités (notamment racisées et religieuses). Cette approche les conduirait à une forme de radicalité et de valorisation d’un climat de censure.

Au début des années 2010, c’était le verrouillage supposé des départements de sciences sociales par la théorie du genre qui avait soulevé les inquiétudes. Celles-ci tournaient autour du même thème : des intellectuels radicalisés par des théories d’extrême-gauche emploieraient les campus comme base de radicalisation idéologique, en employant la censure comme arme et en fermant systématiquement le débat. Bien avant cela, la question du politiquement correct avait, dans les années 1990, particulièrement inquiété aux États-Unis, avant de faire l’objet d’une importation en France. » ;

(extraits du livre La panique woke. Anatomie d’une offensive réactionnaire, d’Alex Mahoudeau)

*

Le « politiquement correct ».

Sur le même site, Faysal Riad s’est attelé à cette notion dans un texte intitulé : « Critique de l’anti-politiquement correct. Réflexion sur un lieu commun de la rhétorique réactionnaire. », dont voici quelques extraits :

« L’expression « politiquement correct » s’emploie généralement comme quolibet mis au service d’arguments réactionnaires pour disqualifier toute thèse adverse. Presque personne ne se dit « politiquement correct » : pour les racistes, les sexistes, les homophobes, le politiquement correct c’est toujours cette prétendue chape de plomb, cette idéologie écrasante qui serait brutalement et arbitrairement imposée par les tristes sires qui défendent l’égalité, combattent les injustices et n’aiment pas les discriminations. L’expression permet de présenter la défense de l’ordre sous les traits de la subversion. C’est un procédé rhétorique fort efficace qui permet de faire passer un discours dominant pour minoritaire, la lâcheté, le conformisme et le larbinisme pour du courage. »

« les dominants ne se soucient généralement que très peu d’être en conformité avec tous les aspects d’une doctrine dont ils n’hésitent jamais, lorsque cela peut servir leurs intérêts, à n’en revendiquer que certains principes, quitte à être en contradiction avec l’essentiel de ce qui fonde ladite doctrine.

Cela, les dominés le savent bien : il ne serait venu à l’esprit d’aucun Algérien jeté dans la Seine le 17 octobre 1961 de crier à la contradiction des policiers avec le-véritable-esprit-de-la-République. Comme il ne viendrait sûrement pas à l’esprit d’une femme assassinée sous les coups de son mari violent de rappeler à ce dernier à quel point il peut lui-même être très gentil, aimable et non-violent avec son patron bien-aimé. Dans les faits, un ministre libéral sur le plan économique peut très être anti-libéral sur bien d’autres plans... et c’est même cela qui est la norme dans notre cher et vieux pays.

Puisque le discours anti politiquement correct est imperméable au réel, seule une mise en perspective sociologique peut lui donner sens : il participe d’une logique de dénis, d’auto-justifications classiques chez les dominants, qui produisent une image inversée des rapports de force structurant l’ordre social. En prétendant que ce qu’ils répètent partout en toute tranquillité ne peut pas être dit ou les expose à un lynchage, ces dominants confèrent à leurs propres mots une valeur qu’une analyse des plus succinctes réduirait au néant. Comme une sorte de prétérition mentale structurale, filée, délirante et interminable.

En se présentant comme menacés par des foudres qui n’existent que dans leurs discours, en évoquant le point de vue non-réactionnaire de manière uniquement péjorative et la correction comme une dictature, peu à peu, l’incorrection – ou dits en d’autres mots la discrimination et la stigmatisation – devient pour l’argumentateur réactionnaire légitime en soi. » 

(extraits du texte « Critique de l’anti-politiquement correct. Réflexion sur un lieu commun de la rhétorique réactionnaire. » de Faysal Riad)

La panique woke. Anatomie d’une offensive réactionnaire, d’Alex Mahoudeau  

Critique de l’anti-politiquement correct - Réflexion sur un lieu commun de la rhétorique réactionnaire par Faysal Riad

(1) Notez bien que l’auteur écrit : « s’est d’abord développé dans la rue », donc avant sa récupération et ses sponsors.
(2) Notez tout aussi bien que l’auteur classe ainsi Fourest parmi les réactionnaires, ce qu’elle est objectivement. 

~
Cet article est proposé afin d'élargir le champ de réflexion, ce qui ne signifie pas systématiquement caution à l’analyse et aux opinions qui y sont développées. La responsabilité d'activista.be s'arrête aux propos reportés ici. activista.be n'est nullement engagé par les propos que l'auteur aurait pu tenir par ailleurs et encore moins par ceux qu'il/elle pourrait tenir dans le futur. Merci toutefois de nous signaler toute information concernant l'auteur qui pourrait justifier une réévaluation.